Épandage des pesticides : les mesures du gouvernement ne satisfont personne

Alors que la consommation de pesticides en France augmente, le gouvernement a pris un nouvel arrêté réglementant leur utilisation près des habitations. Va-t-il contribuer à la «réduction de la dépendance aux produits phytosanitaires», comme l’affirme le gouvernement? Reporterre a étudié le texte.

L’agriculture française est toujours aussi accro aux pesticides. Les derniers chiffres publiés début janvier donnaient la tendance pour 2017-2018 de la consommation de pesticides : en 2018, elle a augmenté de 21% par rapport à 2017.

Coïncidence, ces chiffres arrivent alors que le gouvernement vient de se doter d’une nouvelle réglementation sur les pesticides. Après des mois d’intenses débats, l’arrêté fixant les distances minimales entre les habitations et le passage des épandeurs est discrètement paru au Journal officiel entre Noël et le jour de l’an, le 29 décembre dernier. Il est assorti d’un décret créant la possibilité d’écrire des sortes de chartes de bon voisinage entre agriculteurs et riverains. Le tout démontre «une politique volontariste de réduction de la dépendance aux produits phytosanitaires et de leurs impacts», assurait le gouvernement dans son dossier de presse de présentation des textes. Vraiment? Pour comprendre, Reporterre a étudié ces nouveaux textes.

D’abord, rappelons que le gouvernement les a édictés contraint et forcé. Après une action juridique de plusieurs ONG environnementales, il a été condamné par le Conseil d’État fin juin 2019 à revoir sa copie sur les pesticides. L’arrêté qui encadre leur utilisation ne protège «pas suffisamment la santé publique et l’environnement», avait déclaré la haute juridiction administrative, pourtant peu encline à donner tort au pouvoir. Le gouvernement avait jusqu’à fin 2019, et s’est donc exécuté in extremis.

Dans les faits, la principale disposition de ce nouvel arrêté «relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques» est de mettre en place des distances «de sécurité minimale» entre les habitations et les épandages de pesticides. Celles-ci varient en fonction des substances et des types de cultures :

  • 20 mètres obligatoires, quel que soit le type de culture, pour les substances les plus dangereuses;
  • 10 mètres pour les autres substances sur les cultures hautes tels que les arbres fruitiers ou les vignes;
  • 5 mètres pour les autres cultures comme les grandes cultures (blé, maïs, colza, etc.).

Ces dispositions concernent presque toutes les façons d’épandre les pesticides, au-delà de celle que l’on imagine habituellement par pulvérisation (les pesticides peuvent aussi être épandus par granulés) [1].

Ces mesures sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020, sauf pour les cultures semées avant le 1er janvier (par exemple les blés d’hiver, semés à l’automne), pour lesquels la date du 1er juillet a été retenue.

Les riverains mal protégés?

Mais l’instauration de ces distances de sécurité semble ne satisfaire personne. Elles sont insuffisantes pour protéger les riverains, déplore Thibault Leroux, responsable du réseau agriculture chez France Nature Environnement (FNE) : «Le gouvernement s’est appuyé sur un avis de l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] qui se fonde sur des modélisations des années 1980 qui notamment ne prennent pas en compte l’effet cocktail des pesticides [être exposé à plusieurs pesticides à la fois peut décupler leurs effets].» Par ailleurs, «les pesticides concernés par la distance des 20 mètres ne représentent qu’environ 3% de ceux utilisés en France», regrette-t-il. «Seuls les pesticides dits [“CMR” | cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques] de niveau 1 ont été retenus. Les CMR de niveau 2 ont été écartés, alors qu’ils représentent 60% des tonnages de produits phytosanitaires. Or, la distinction entre CMR 1 et CMR 2 n’est qu’une question de preuves scientifiques. Il y a eu moins de recherches sur les CMR 2 pour prouver leur toxicité.»

Chez Générations futures, Nadine Lauvergeat rappelle que des documents officiels du ministère de l’Agriculture avaient déjà préconisé des distances de 50 mètres pour l’arboriculture. «Les données existent», insiste-t-elle. Cette distance n’a été retenue que pour les établissements accueillant du public dit «vulnérable», écoles ou maternités par exemple . «Mais dans les habitations aussi vivent des personnes vulnérables», rappelle Thibault Leroux.Traitement d’une vigne en Ardèche.

Des distances déjà bien trop grandes, à l’inverse, au goût du syndicat agricole majoritaire. «Nous ne sommes pas pour une approche de la protection des riverains uniquement par la notion de distance. On veut faire reconnaître que les systèmes antidérive ont la même efficacité scientifique», indique Christian Durlin, vice-président de [la FNSEA| Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, majoritaire] et cultivateur dans le Pas-de-Calais. Les systèmes dits «antidérive» peuvent être par exemple des épandeurs plus précis, ou des panneaux récupérateurs de produits. Par ailleurs, il dénonce des conséquences économiques importantes : «Sur mon exploitation par exemple, cela représente deux hectares [c’est-à-dire les distances de non épandage]. Je ne sais pas ce que je vais faire de cette zone-là. Si je plante la même culture que dans le reste de la parcelle, je ne pourrai pas traiter, donc cela risque de contaminer le reste. Si je ne mets rien, c’est une perte sèche de production, alors que je continue de payer des loyers et des charges sur ces surfaces.»

Ces difficultés sont exagérées, estime Jean-Bernard Lozier, agriculteur dans l’Eure et membre, lui, de la Confédération paysanne. «C’est embêtant pour les utilisateurs parce que ça va changer leurs habitudes, dit-il. Ce que je vais faire, je vais semer partout mais je ne mettrai pas de pesticides sur les bandes près des maisons.» Il dit avoir réussi à réduire de 65% l’utilisation des pesticides sur son exploitation et fait partie du réseau national de fermes Dephy, réseau visant à encourager la réduction de l’usage des pesticides«On a déjà retrouvé du prosulfocarbe, un produit utilisé sur le blé, qui s’était déposé sur des pommes à plus de 500 mètres des champs», raconte-t-il.

Des chartes «soufflées par la FNSEA»

Un autre point de débat se cristallise autour des «chartes d’engagement» qui devront être mises en place dans chaque département. Le décret, qui accompagne l’arrêté fixant les distances de sécurité, détaille dans quelles conditions elles seront mises en place, en trois temps :

  • Une rédaction par les utilisateurs de pesticides (les agriculteurs);
  • Une «concertation» d’un mois minimum permettant aux riverains ou leurs représentants de s’exprimer sur le contenu de la charte;
  • Une validation par le préfet de département.

Celles-ci peuvent permettre de réduire les distances de sécurité si des systèmes dits «antidérive» sont utilisés. Les distances peuvent alors être de :

  • 5 mètres pour l’arboriculture et la viticulture;
  • 3 mètres pour les autres cultures.

«Ces chartes ont été très fortement soufflées par la FNSEA», regrette Thibault Leroux à FNE. «Cela fait un an et demi qu’on est convaincus que c’est par ce biais-là qu’on avancera sur ce sujet», confirme Christian Durlin côté FNSEA. «Il faut adapter département par département, car sur certains territoires l’élevage domine, dans d’autres, ce sont les grandes cultures, l’arboriculture, etc. Les approches peuvent être différentes. Cela va permettre le dialogue sur les territoires», se réjouit-il.

«Jusqu’ici, on a constaté sur le terrain que les contacts locaux de FNE n’étaient pas écoutés dans les concertations, ou qu’il n’y avait pas d’espace de dialogue du tout», contredit Thibault Leroux. Les associations environnementales contestent que les rédacteurs des chartes soient d’abord les agriculteurs. Elles auraient aussi souhaité que l’information des riverains avant un épandage soit obligatoire (le décret ne le mentionne que comme une possibilité). «C’est déjà mis en œuvre sur certains territoires», rappelle Nadine Lauvergeat, de Générations futures. «Et l’Union européenne reconnaît aux riverains le droit d’être informés des produits auxquels ils sont exposés.» Sans cette information, les chartes risquent d’être difficilement applicables : «Comment savoir si un agriculteur épand un produit qui doit être à une distance de 10 ou 20 mètres, qu’il respecte la réglementation?» s’interroge Thibault Leroux.

Délivrer une telle information «poserait un problème technique», conteste Christian Durlin. «Parfois, on pensait traiter le matin avec le produit A, puis le vent se lève, et on traite 48 heures plus tard avec le produit B», indique-t-il. «Et puis, donner une liste de produits à un voisin n’a pas d’intérêt s’il n’y a pas d’explication de pourquoi on les utilise.»

«Ces chartes, j’ai lu celle du département et j’ai refusé d’y participer car c’est de la poudre aux yeux, dit Jean-Bernard Lauzier. Les citoyens n’ont pas vraiment été invités. Il faut arrêter de se faire balader, réduire les pesticides, c’est possible et avec le réseau de fermes Dephy, cela fait vingt ans qu’on démontre que l’on peut réduire les produits chimiques tout en gagnant aussi bien notre vie avec une meilleure qualité de vie.»

Son syndicat estime que distances et chartes détournent du vrai débat. «Ce ne sont pas des outils qui vont donner la possibilité aux paysans de s’affranchir des pesticides», estime Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. «Le rôle du politique est de fixer un cadre national de sortie des pesticides, or on a l’impression qu’il se débarrasse du problème.»


[1«Certains produits font l’objet d’une réglementation spécifique comme les fumigations ou les traitements de semences», a précisé à Reporterre le ministère de la Transition écologique.


Source : Marie Astier pour Reporterre

Photos :
. chapô : Pixabay (CC0)
. vignes : Wikimedia (luigifab/CC BY-SA 3.0)

Documents disponibles

  «Évaluation du dispositif réglementant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des lieux accueillant des personnes vulnérables», mars 2019.

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